Servir froid, Joe Abercrombie

C'est le printemps en Styrie. Et avec le printemps, vient la guerre... Et la guerre peut-être un enfer, mais pour Monza Murcatto, Serpent de Talins, mercenaire célèbre et redoutée que ses victoires ont rendue très populaire, c'est aussi une bonne manière de se faire de l'argent. Toutefois cette notoriété n’est pas du goût de tous ses employeurs, notamment du Grand-Duc Orso qui entend balayer tous les obstacles dans sa lutte pour accéder au trône. Pour prix de ses services, Monza se voit trahie, jetée du haut d'une montagne et laissée pour morte… ou presque. Bien que son corps soit brisé, son esprit réclame vengeance. Quoi qu’il lui en coûte, sept hommes devront mourir ! Elle aura à ses côtés des alliés hors du commun : un ivrogne charismatique, un empoisonneur fourbe, un meurtrier obsédé par les nombres et un barbare désabusé. Leurs ennemis : plus de la moitié du peuple. Avec, à sa tête, les sept hommes qu’elle s’est jurée de tuer. C'est le printemps en Styrie. Et avec le printemps, vient la vengeance...


En relisant le résumé de l’éditeur, je me rends compte qu’il manque un point essentiel : si Monza jure de se venger, ce n’est pas tant pour elle, mais aussi pour son frère, assassiné le même jour qu’elle. Son frère, Benna, qui lui sauve d’ailleurs la vie, à sa façon : jeté avant elle du haut de la montagne ou trône le duc Orso, son corps permet d’amortir sa propre chute et de lui éviter la mort. C’est le premier chapitre, “Benna Murcatto sauve une vie”, et il donne bien le ton du bouquin. Parce que ici, on n’est pas chez Tolkien (j’aime beaucoup Tolkien), où tout est propret, où quasiment tous les gentils sont loyaux.
Pour accomplir sa vengeance, Monza va s’entourer de plusieurs personnages hauts en couleurs. Shivers d’abord, un ancien mercenaire qui est arrivé dans le sud dans l’espoir de devenir un homme meilleur. Cordial, un ancien bagnard que j’ai particulièrement apprécié, un type un peu taré, incapable de comprendre autre chose que les chiffres. Suivez un défilé avec lui et il comptera les gens qui passent, le nombre de pierres au collier de la reine, sans prendre garde aux personnes qui défilent. Morveer, un empoisonneur doué et trouillard en puissance, et son assistante Day, qui passe son temps à manger. D’autres plus loin, mais ce serait spoiler l’histoire. Et puis il y a Monza, une femme avide de vengeance, une femme violente, avec juste ce qu’il faut de conscience mais pas trop, avec son corps brisé et son addiction au brou, seul remède qui lui fasse oublier la douleur permanente de son corps. Des personnages disparates, tous hyper développés, qui vont porter l’intrigue.
On pourrait reprocher à l’intrigue en question d’être un tout petit peu trop linéaire. On est dans un schéma bien défini : une partie, une ville, une vengeance. Sur la fin, le schéma est heureusement un peu brisé par les évènements. L’évolution des personnages (je pense notamment à Shivers) pimente aussi l’histoire.
Le bouquin est violent. Les personnages jurent, crachent, et tapent dans le tas ; on a des membres qui volent à chaque page, des odeurs de chair brulée. Pourtant, rien de bien traumatisant : c’es tellement exagéré et tellement redondant que ça en devient normal. De plus, je trouve que le livre ne se voile pas la face (encore une fois, on peut faire une comparaison avec les charges héroïques du Seigneur des Anneaux) : la guerre, c’est sale. On a droit d’ailleurs à pas mal de réflexions sur la guerre et le monde, avec lesquelles on sera plus ou moins d’accord selon le personnage qui les énoncent.

“Les choses ne sont plus ce qu’elles étaient” est le cri de ralliement des esprits obtus. Quand les hommes disent que les choses étaient mieux, ils veulent invariablement dire qu’elles étaient mieux à leurs yeux, parce que dans leur jeunesse, leurs espoirs étaient encore intacts. Le monde semble forcément plus sombre quand on s’approche de la tombe.

L'univers, quant à lui, a eut droit à un développement exceptionnel. On est dans ce genre de bouquins où on nous parle de choses (telle ville, telle divinité, tel héros) sans nous les expliquer. J’ai une affection pour ce genre d’arrière-plan : les choses sont là, elles existent, c’est crédible, c’est réel. Pour ce que j’en sais, tous les bouquins de l’auteur (une trilogie et un autre roman en français pour l’instant) se déroulent dans le même univers.
Quelques rebondissements et révélations ponctuent les dernières parties. Peut-être même qu’on a des nouvelles des personnages dans d’autres livres de l’auteur. Si tout va bien, je devrais pouvoir répondre à ça dans quelques temps.

Un livre sombre et violent mais porté par des personnages exceptionnels et un monde haut en couleur : une petite perle.

La stratégie Ender, Orson Scott Card

Ender Wiggin a six ans lorsqu’il apprend qu’il est admis à l’école de guerre. Quittant son frère et sa sœur - le premier étant un génie à tendances meurtrières, la seconde simple génie au caractère trop doux -, il se retrouve plongé dans un entraînement qui, les adultes l’espèrent, fera de lui celui qui sauvera la planète de la prochaine attaque des doryphores.

J’avais deux réticences àlire ce livre. La première : l’auteur est mormon, et j’avais peur de lire un bouquin qui m’aurait donné l’impression qu’on essayait de m’embrigader dans un courant de pensée bien spécifique, comme ce que j’avais pu ressentir à la lecture de Twilight.
La seconde : je m’étais déjà faite à moitié spoiler l’histoire, parce que j’avais eu la bonne idée de lire le livre sur l’écriture de l’auteur, et qu’il y va bien en profondeur sur la construction du scénario de certains de ses bouquins, celui-ci y compris.
Mais bon, le film arrivait, et je déteste lire un livre après le film. J’ai donc pris mon courage à deux mains et l’ai lu avant. J’ai bien fait car, pour répondre aux deux questions que soulèveront sans doute les deux points cités plus haut :
- Apparemment, l’auteur en était encore au stade où sa vie personnelle n’entravait pas ses écrits. Il y a même plusieurs religions qui cohabitent, et ce cher Orson n’essaye pas de les descendre (même s’il les mystifie quelque peu, les religions étant un peu tabous dans ce monde-là). Pas de grandes leçons de morale, ou alors bien cachées. On me souffle à l’oreille que plus tard, il ne s’est pas trop gêné pour écrire des bouquins ouvertement homophobes. J’essayerai de ne pas piocher dans ceux-là.
- J’avais oublié la moitié des spoilers, au point que je n’ai pas vu la fin venir. Et pourtant je savais qu’il y avait un truc énorme qui se cachait, et j’en ai élaborés, des scénarios tirés par les cheveux !

Ender est un personnage auquel je me suis attachée jusqu’à la fin. La FI, l’école où on l’envoie, ne va pas être tendre avec lui. Il faut dire que le petit Ender a des sentiments et que les sentiments, ça peut être gênant pour faire la guerre. A l’école, on les divise en équipes, on les entraîne à l’aide de “jeux” -Ender’s game en VO -, qui deviennent de plus en plus rudes. Entraînements dans des salles sans gravité, armées contre armées. Des jeux virtuels aussi, inquiétants et étranges, où il faut faire preuve de stratégie pour franchir les obstacles. La compétition est rude, isole Ender de ses compagnons un peu plus chaque jour. On ne peut que compatir avec lui, maudire ces adultes qui lui font vivre un enfer, même si on en vient parfois à oublier qu’Ender n’est qu’un enfant. Chaque journée est une épreuve, chaque personne, bonne ou mauvaise, un point sur le chemin d’Ender qui va l’orienter progressivement vers ce qu’il va devenir à la fin du livre.
Chaque début de chapitre dévoile un dialogue entre responsables de l’école, qui discutent du comportement à adopter envers Ender, et aussi des fameux doryphores, qui ne sont finalement qu’une menace invisible dans la majeure partie du livre. Plus loin, on retrouve le frère et la sœur d’Ender et, bien que la situation politique ne soit parfois pas claire dans ce livre (il semblerait q’elle soit expliquée plus précisément dans les tomes suivants), ces passages permettent de solidifier le monde où l’histoire se déroule. Le frère et la sœur, simples enfants, vont tenter de s’immiscer dans la vie politique - jolie démonstration de l’auteur sur ce que peut faire une simple influence au sein d’un réseau de citoyens.
Mais bien sûr, tout tourne autour d’Ender. Va-t-il devenir le sauveur que l’on souhaite, va-t-il succomber aux autres élèves qui lui sont hostiles, va-t-il perdre toute humanité, formaté par l’école ?
La fin est d’autant plus magistrale que tout se passe très vite. Vraiment, je n’ai pas vu LE rebondissement arriver, et pourtant je l’ai guetté ! Si je décrivais mes sentiments à la lecture des dernières pages, j’en dirais forcément trop.

Un bouquin relativement facile d’accès pour la novice en SF que je suis, une vraie réflexion sur la société, sur l’humanité. En bref : un livre à lire.

La passe-miroir (Livre 1) - Les fiancés de l'hiver, Christelle Dabos


Sous son écharpe élimée et ses lunettes de myope, Ophélie cache des dons singuliers : elle peut lire le passé des objets et traverser les miroirs. Elle vit paisiblement sur l'arche d'Anima quand on la fiance à Thorn, du puissant clan des Dragons. La jeune fille doit quitter sa famille et le suivre à la Citacielle, capitale flottante du Pôle. À quelle fin a-t-elle été choisie ? Pourquoi doit-elle dissimuler sa véritable identité ? Sans le savoir, Ophélie devient le jouet d'un complot mortel.

Gallimard jeunesse
Fantasy, YA528 pages, 18€Acheter en ligne

Mon avis

Étonnante surprise que ce lauréat du Concours du Premier roman jeunesse. Parce qu'après tout c'est un premier roman, et que malgré la couverture attrayante et le résumé intriguant, on peut s'attendre à des maladresses. Mais le niveau de l'auteur est en fait excellent.
On a un monde réfléchit, bien construit. Bon, la partie de moi qui aime la SF et la rigueur qui va avec n'a pas forcément apprécié cette histoire d'"arches" (comprendre par là que le monde, c'est le nôtre, sauf que la Terre a été "déchirée" en petits morceaux sur lesquels on peut malgré tout encore voyager), mais c'est après tout de la fantasy. J'imagine de plus qu'on aura l'explication de ce phénomène dans un autre tome.
L'héroïne, Ophélie, est chouette. Pas seulement pour ses pouvoirs, mais parce qu'elle est l'antithèse totale de pas mal d'héroïnes de YA : maladroite, empotée, intello, toujours à se cacher derrière ses vieux vêtements et son écharpe, elle ne rêve que de continuer à tenir son musée et ne ressent aucune joie lorsqu'elle apprend qu'un grand du Pôle va devenir son mari. Une héroïne qui ne court pas après le mariage ou qui ne rêve pas de quitter sa vie actuelle pour la grande aventure, ça fait rudement du bien !
Accompagnée de sa tante Roseline, elle se rend dans ce territoire hostile, où on va lui demander de cacher qui elle est, où elle va vite comprendre que son futur époux, Thorn, n'est pas très aimé des siens. On peut presque les comprendre quand on voit la brute à mi-chemin entre l'ours et l'homme qu'il est, mais les choses vont très vite aller plus loin : des complots, des complots, et des intrigues de cour où à peu près tous se révèlent être des personnages plus ou moins méprisables, plus ou moins corrompus, et quand même pas mal touchés par le vice. Personnellement, j'ai adoré ce côté que je trouve très réaliste.

J'ai du mal à qualifier ce livre de réel livre jeunesse, même s'il est classifié comme tel. L'intrigue est compliquée, et je crois que certaines subtilités qu'on pourrait qualifier de politiques peuvent échapper à de jeunes lecteurs. J'ai lu pas mal de reproches concernant le style de l'auteur qui peut être un peu particulier, voire difficile à lire. Ça m'a pas mal étonnée car je n'ai à aucun moment butté sur des phrases ou des mots. Je crois qu'il faut tenter le coup malgré tout, parce que ça peut être une très très bonne surprise.

Ma note

4. On n'est pas loin du coup de coeur !

Tout chaud